8 septembre 2023 à Niort : le procès des antibassines

Le 8 septembre 2023 à Niort se tenait un procès qui s’annonçait historique : 9 personnes engagées pour la défense de l’eau étaient convoquées devant le tribunal en raison, entre autres, de leur participation supposée à l’organisation de deux manifestation interdites à Sainte Soline. Julien Le Guet et Nicolas Beauvillain (BNM), Sébastien Wyon (paysan en Ariège et membre de la Confédération paysanne), Basile Dutertre et Benoît Feuillu (les Soulèvements de la terre), Nicolas Girod et Benoit Jaunet (Confédération paysanne), David Bodin (CGT) et Hervé Auguin (Solidaires). D’autres chefs d’accusation étaient prononcés à leur encontre, en fonction des prévenus, tels que la participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires contre les personnes ou la destruction de biens, ainsi que du vol d’une canalisation de bassine pour l’un, d’une pelle pour l’autre… Pour la première fois en France, selon les avocats, quatre représentants syndicaux étaient convoqués par la justice en raison de l’appel à manifester à Sainte Soline par les organismes qu’ils représentent malgré l’interdiction préfectorale : la Confédération paysanne, la CGT et Solidaires.

Article Pierre Grillet  publié par JNE

En cette journée caniculaire, ce sont plusieurs milliers (probablement 4000 environ) de personnes qui sont venues les soutenir place de la Brèche à Niort et les ont accompagnées, en début d’après-midi, en ville en direction du tribunal jusqu’à la zone interdite par la préfète (Le palais de justice et ses abords interdits lors d’un procès public, là encore, une interdiction inédite). A l’instar de toutes les manifestations précédentes, on croisait des personnes de tous âges, des familles, un grand nombre de militants syndicaux venus massivement (probablement plusieurs centaines), les partis politiques déjà présents à Sainte Soline et pour la plupart actifs depuis le début de la lutte : EELV avec, entre autres, Marine Tondelier, secrétaire nationale et Benoit Biteau, député européen et agriculteur, la France Insoumise avec notamment Mathilde Panot, présidente du groupe LFI et Clémence Guetté, députée, le parti communiste, le NPA avec Philippe Poutou… Coté syndicats, on notait la présence de représentants nationaux de la Confédération paysanne, Solidaires, FSU et la CGT, dont sa Secrétaire générale, Sophie Binet, qui parlait d’emblée de « procès politique » avec des propos très offensifs contre le gouvernement et notamment les déclarations faites la veille par Éric Dupond-Moretti. Ce Ministre avait condamné fermement toute action de désobéissance civile en exprimant son « ras le bol », préférant nettement un peuple soumis et qui se tient sage. « Le Garde des sceaux devrait revoir ses cours d’histoire » a-t-elle déclarée. « La désobéissance civile, elle est par nature pacifique et elle est à l’origine de nos principaux acquis sociaux et sociétaux… C’est en désobéissant et parfois violemment, que les femmes ont obtenu le droit de vote aux États-Unis et que l’apartheid a été aboli en Afrique du Sud ou que des lois racistes ont été supprimées aux États-Unis… La désobéissance civile est parfois nécessaire pour obtenir de vrais changements ». Des propos rassembleurs aussi avec cet appel à l’unification entre les luttes sociales et les luttes écologiques, un discours particulièrement suivi par le public et très fortement applaudi.

Encore une fois, une organisation parfaite
La fin de matinée fut consacrée à des conférences de presse et des interventions de militants s’apprêtant à être jugés et l’après-midi marquée par une série de discours de la part des organisations militantes contre les bassines puis par les représentants syndicaux et politiques. Une troupe théâtrale retransmettait toutes les heures le déroulement du procès. Une retransmission qui semblait tellement surréaliste que nous avions un doute : la troupe ne caricaturait-elle pas ce procès avec excès ? La suite nous montrera que la réalité était encore bien pire !
Question intendance, là encore, une incroyable cantine de lutte était présente et a permis de nourrir dans d’excellentes conditions la plupart des manifestants, toujours à prix libre. Quelques personnes passaient régulièrement parmi la foule pour rafraichir les participants à l’aide de vaporisateurs, un détail fort apprécié lorsqu’il fait plus de 35°… Divers stands militants proposaient des discussions, échanges, vente de livres… Ce fut l’occasion de constater que plusieurs de ces stands étaient tenus par ces comités locaux des Soulèvements de la terre créés par centaines dans tout le pays suite au projet gouvernemental de dissolution de ce mouvement ! Gérald Darmanin est décidemment excellent pour motiver les militants ! Cette journée aura une fois de plus et quelques jours après le convoi de l’eau, démontré la forte capacité d’organisation des opposants aux bassines.

Un procès qui tourne court…

Sauf à être muni d’une carte de presse ou justifier d’une autorisation, il n’était pas possible d’assister directement au procès : accès interdit pour le public autour du Palais de justice, salle trop petite… Les prévenus avaient décidé de ne pas répondre aux questions, mais ont fait individuellement une déclaration, souvent très émouvante, autour des enjeux et sur le pourquoi de leur participation à la lutte. Au cours de l’après-midi, les retransmissions théâtrales de ce procès ne faisaient que renforcer un sentiment de malaise : un procès visiblement très mal préparé par le parquet, des éléments confus dans les charges reprochées aux prévenus, de nombreuses suspensions de séance (au moins cinq), tout laissait croire que l’après-midi serait largement insuffisante pour aboutir à un résultat serein pour l’ensemble des parties. Un tel manque d’organisation ne pouvait finalement que se conclure par une suspension de procès décidée à 21 h suite à la demande d’une avocate des prévenus. Celui-ci devra reprendre le… 28 novembre ! Tant pis pour les témoins qui ont fait le déplacement et pris leur journée, ils devront revenir. Un fait particulièrement rare qui confirmait le désordre perçu lors des retransmissions théâtrales… Un incroyable désordre pour un procès dont l’audience est nationale et censé être préparé depuis des mois…

Des inculpés acclamés pendant que Macron était copieusement hué au Stade de France !

Heureusement, il y a des moments, souvent brefs mais intenses. Tels, cette sortie en soirée des inculpés libres, soutenus et acclamés par une foule encore nombreuse malgré l’heure tardive et à quelques centaines de kilomètres de là, ce formidable déchaînement de colère presque concomitant contre le président Emmanuel Macron, totalement hors sol et copieusement sifflé et hué par le public devant les caméras du monde entier, lors du match de rugby France–Nouvelle Zélande. Un symbole fort qui restera.

Une lutte qui continue et est appelée à se renforcer…

Le résultat : une motivation encore plus forte pour lutter contre les bassines et plus globalement contre l’accaparement de l’eau. Bassines Non Merci rappelle le soir du 8 septembre qu’une nouvelle bassine est en construction et que ce chantier a démarré le jour même où BNM, la Confédération paysanne et les Soulèvements de la Terre étaient en « négociation » à Orléans avec la préfète, présidente de l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne. Une véritable provocation qui ne pourra pas rester sans réponses. Une sortie pédagogique a été organisée le lendemain matin (samedi 9) à proximité de cette bassine dont le chantier a démarré ces jours derniers, celle de Priaires. Curieusement, les grilles entourant le chantier se sont retrouvées au sol. Bassines Non merci, revendiquant l’opération pédagogique, ajoute : « Il s’agissait aujourd’hui d’un constat en forme d’avertissement, de repérage et de premiers gestes qui en annoncent d’autres. Il est grand temps que cessent les bassines ! ». Colère et indignation de la préfète… Puis de ses amis de la FNSEA et des JA79 qui ne tolèrent que leurs propres dégradations, menaces et intimidations. Non, ce combat que Mathilde Panot avait qualifié de « guerre de l’eau » lors de son intervention vendredi, n’est pas terminé, loin de là.

Communiqué des Soulèvements de la Terre

Pourquoi nous n’avons pas répondu à la commission d’enquête parlementaire sur les « groupuscules »
Nous étions convoqués aujourd’hui à 14h30 en vue d’être auditionnés par une commission d’enquête parlementaire. Un questionnaire nous a été adressé. Nous avons choisi d’y répondre par écrit, comme l’ont fait nos camarades de la confédération paysanne. Ces 18 questions portent sur des faits qui font déjà l’objet de poursuites judiciaires ou administratives : le procès pour organisation et participation à la manifestations de Sainte Soline et la procédure de dissolution administrative en cours à l’encontre des Soulèvements de la terre. Main dans la main, les députés LR, LREM et RN se prennent pour des policiers enquêteurs, des procureurs et des juges. Un inacceptable régime de confusion qui témoigne d’une situation dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est plus de mise. Le parlement, rendu superflu par l’autoritarisme présidentiel, se rabat sur des œuvres de basse police.

L’intitulé de la commission donne le ton : « commission d’enquête parlementaire sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences à l’occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023 ainsi que sur le déroulé de ces manifestations ».

Ce titre en dit long. Il y aurait donc des « groupuscules ». Ils seraient « structurés ». Ils seraient « auteurs de violences » commises entre le 16 mars et le 3 mai 2023. Or que s’est-il passé entre mars et mai 2023 ? Après des semaines de grèves et de mobilisation historique, le gouvernement dégaine le 49-3 pour passer au forceps une loi. Une loi rejetée par l’ensemble des syndicats. Une loi rejetée par une immense majorité de la population. Une loi à laquelle s’oppose la majorité des députés, au point que le gouvernement n’ose pas la soumettre au vote.

Nous sommes la seule démocratie occidentale dans laquelle le parlement est à ce point décoratif. 5 ans de présidentialisme brutal, de règne arbitraire et solitaire d’un homme mal élu, voilà ce qui caractérise l’autoritarisme à la française. Et si c’était cela qui était le déclencheur de l’éphémère embrasement de mars ? Une explosion de colère populaire, des feux de poubelles qui se répandent partout dans les grandes métropoles et les petites villes de campagne. En réponse, un déferlement de violences policières. Comment le justifier ? En agitant le spectre de la « violence des groupuscules » !

Le 25 mars le gouvernement a fait tirer massivement sur la manifestation de Sainte Soline. 200 blessées, de nombreuses personnes mutilées, certains manifestant-e-s échappent in extremis à la mort. Deux se retrouvent dans le coma en urgence vitale absolue. Après des années d’alertes lancées par Bassines Non Merci, la Confédération paysanne et les associations environnementales, le gouvernement préfère tirer à vue plutôt que de suspendre les travaux pour rouvrir le dialogue.
Des recours administratifs contre les bassines sont pourtant en cours d’examen.


Cette commission d’enquête déshonore un peu plus le parlement. Celui-ci n’emploie pas ses capacités d’enquête à éclaircir le rôle du cabinet Mc Kinsey ou du fond de pension Black-rock dans la destruction des systèmes de solidarité. Il ne les emploie pas à analyser les conséquences hydriques du réchauffement climatique et des sécheresse pluriannuelles sur la pérennité du modèle agricole. Il ne les emploie pas à interroger les dérives de la cellule DEMETER. Il ne les emploie pas à faire la lumière sur l’usage des armes prétendument « non létales » par le maintien de l’ordre.

Nous savons déjà ce qu’augure cette commission : une loi sécuritaire de plus. On ne les compte plus. Des interdictions administratives de manifester calquées sur le modèle des interdictions de stade. Des moyens nouveaux pour censurer les réseaux sociaux en situation de mouvement social. De nouveaux leviers pour interdire et réprimer les manifestations. Une loi de plus à laquelle il faudra s’opposer en actes.

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