"Ces mots responsables de nos maux..."

Ces mots qui nous lient ou.... nous embrouillent ?

C’est lors des assises lorraines du développement durable à Metz en 2007 que Jean-Marie Pelt avait prononcé cette phrase. Il avait aussi énuméré les mots qui expriment de fortes valeurs dans la société libérale et qui sont sources de nos maux actuels : “croissance”, “réforme”, “création de richesse”, “compétition”, “performance”, “excellence”.
Mais la société libérale sait aussi parfaitement élargir la base de son vocabulaire en reprenant des mots et expressions qui permettent de créer de la confusion en laissant croire que certaines préoccupations tant sociales qu’écologiques seraient largement prises en compte et qu’il faudrait par conséquent être totalement rassuré. Ces mots sont alors de véritables pièges, des poisons …
Attention au sens des mots et à l’utilisation abusive de certains préfixes…
« Les mots sont des graines, celles d’une plante de vérité nourrissante ou de mensonge empoisonné» Bernard Charbonneau.
« Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots». Jean Jaurès

 

Le préfixe "éco" à toutes les sauces
Au royaume des communicants, le choix des mots et expressions (autrement dit la forme) a pris une importance beaucoup plus forte que les actions réellement menées (autrement dit le fond). Un vocabulaire reprenant certains préfixes comme « bio », « éco » ou des expressions dans lesquelles le mot écologie est présent, s’est considérablement développé ces dernières années. A l’instar du mot « nature » que nous avons déjà évoqué, ces mots et expressions utilisés par différentes personnes peuvent alors signifier des choses très diverses, voire contradictoires : l’agro écologie en est un bon exemple. L’inspiration basique de l’agro écologie s’appuie sur les savoirs accumulés par les petits paysans dans le monde. Ces savoirs qui ont permis d’assurer les équilibres d’agrosystèmes diversifiés, sans souci de compétition ni de performances.

Un outil de communication
Mais pour les partisans de l’agriculture industrielle, l’agro écologie est d’abord un outil de communication permettant d’optimiser le système dominant en le verdissant légèrement. Les très nombreuses conférences organisées sur l’agro écologie aujourd’hui, dans les lycées agricoles et auprès du grand public, le plus souvent par des représentants de chambres d’agriculture, ou de grosses coopératives, sont largement sponsorisées par les principaux bénéficiaires de l’agriculture industrielle. De quoi faire réfléchir ! Le Point, en août 2017 publiait un article au titre évocateur : « Interdire le glyphosate signerait la fin de l'agro écologie, selon des agriculteurs ». Sur le même sujet, le puissant président de la Fédération des producteurs d'oléoprotéagineux n’hésitait pas à s’écrier : « Hulot enterre l'agro écologie et les efforts entrepris par les agriculteurs sur les sols ». Et pour monsieur Beulin, alors Président de la FNSEA : « C’est à travers le développement de nouvelles technologies qu’émergeront les solutions pour rendre l’agriculture plus écologique. Il est même exclu de faire l’impasse sur une innovation, même génétique… ».
Pour Monsieur Le Foll, alors qu’il était encore Ministre de l’agriculture, tous les agriculteurs en France devaient se convertir à l’agro écologie. Nous sommes bien d’accord avec lui, mais en opposition lorsqu’il énonce : « il n’est pas question, que le projet d’agro-écologie pour l’agriculture française isole ses agriculteurs avec des réglementations contraignantes, sources de nouvelles distorsions. Il doit au contraire les inscrire dans de nouveaux modèles de production rentables en phase avec la PAC et la mondialisation ».


Pour que rien ne change...
Autrement dit, on ne change rien, ou pas grand-chose, on loue encore cette « mondialisation », mais on dit qu’on est « écolo » !
Le préfixe « éco » est également bien utile pour tous les communicants chargés de « verdir » leurs clients ou leurs propres entreprises et réalisations. On sait qu’aujourd’hui, le capitalisme serait devenu un « éco capitalisme ». Champion toutes catégories, Monsieur Estrosi, lorsqu’il veut justifier son méga projet industriel dans la plaine du Var baptisé bien entendu : « éco-vallée » : on y parle d’ « éco-quartier », d’« éco-stade », d’« éco-exemplarité », de « mutation éco compatible », ...On y présente même une « Charte d'adhésion au cadre de référence pour la qualité environnementale de l'aménagement et de la construction » et un « guide de préservation de la biodiversité » (au passage avec la collaboration d’une grosse association de protection de la nature…). L’établissement public chargé de ce projet le qualifie de « première opération d'intérêt national entièrement dédiée au développement durable ». Mais le Maire de Nice bat tous les records lorsqu’il présente son grand stade : « En phase de conception comme d'exploitation, l’enceinte est un modèle d’éco-conception et d’éco-construction, un bâtiment à énergie positive phare d’un éco-quartier, au sein de l’Opération d’Intérêt National de la plaine du Var ». « L’un des premiers éco stades au monde au sein d’un éco quartier ».
Bon, c’est quasiment de l’humour, pourtant, c’est très sérieux…Mais l’absurde ne connaît aucune limite : on est même allé jusqu’à baptiser un rallye automobile en Afrique : « Africa eco race »… On parle également d’éco-bénéfice, d’éco-techniques, d’éco-gestes, éco-étiquette, éco-responsable, éco-fiscalité, éco-conseiller….On construit des éco-golfs, des éco-quartiers, des éco-stations (de ski), des éco-routes… Vinci, qui ne recule devant rien, a inventé en 2009, l’éco autoroute6 à l’issue des Grenelles de l’environnement !
Et méfions-nous des sens donnés à tous ces termes qui fleurissent actuellement : l’économie verte, la croissance verte, la bio économie, les bio technologies, le bio contrôle, l’agriculture raisonnée, l’agriculture intelligente, l’écolonomie.
Il faut constamment se tenir informé pour bien saisir tous les sens possibles donnés à chacune de ces expressions, chacun de ces mots qui sont autant d’éléments de langage destinés à faire passer certaines idées pour la plupart très conservatrices du système en place. On fait croire à un changement qui n’existe pas dans la réalité et le tour est joué. Plus on donne l’impression d’un changement et moins on change !
Car Il est trop commode, pour ceux qui ne veulent rien changer, d’entretenir toutes ces confusions. C’est pourquoi, plus que jamais, au cours d’une discussion et lorsque ces mots et expressions apparaissent, il faut absolument demander à la personne qui les utilise, la définition qu’elle en donne. Cette simple précaution pourrait au moins éviter certains dialogues de sourds trop nombreux aujourd’hui.

Le triomphe et le danger des oxymores…
Ces assemblages de mots comme le « capitalisme à visage humain », le « développement durable » ou encore la « croissance verte » apparaissent comme des oxymores bien utiles…Un oxymore consiste à rassembler des mots ayant des significations contradictoires. Autrefois utilisés essentiellement par les poètes, les oxymores sont devenus courants et bien commodes dans le langage technocratique. Comme « la croissance durable » qui a justifié tous les déréglementations environnementales produite par la fameuse loi Macron de 2015. Ou encore, « la guerre propre », « la flexi sécurité », « le changement dans la continuité » cher à Alain Juppé, la fameuse « mine responsable » d’Emmanuel Macron qui prône « l’écologie industrielle » ou encore « la voiture propre » ainsi que le fameux (un de mes préférés) « philantro capitalisme » cher à l’agrobusiness… Réunir des éléments parfaitement contradictoires permet de laisser croire que des attentes logiquement incompatibles seraient en fait prises en compte. Nous serions ainsi dans le fameux « en même temps » cher à un certain Président. Que ce ne soit pas réalisable, le problème n’est pas là. Ce qui compte, c’est de le dire pour le laisser croire, pas de le faire. Ainsi, la notion de « développement durable » est probablement le plus bel oxymore actuel concernant l’environnement et la plus vaste tromperie de ces dernières décennies. Pour Bertrand Méheust, le développement durable « sert à maintenir les esprit captifs de l’illusion que la société peut continuer dans la voie dans laquelle elle est engagée avec seulement des retouches, même importantes. C’est l’illusion de la croissance verte, un bel oxymore également ». Nicholas Georgescu-Roegen8 disait dès 1991 : «Il n'y a pas le moindre doute que le développement durable est l'un des concepts les plus nuisibles ». On n’hésite plus à parler de « ski écolo » dans les stations les plus modernes et les plus destructrices de nos Alpes… Lafarge n’hésite pas à nous vanter son « béton responsable ». Tous ces oxymores sont bien commodes pour les pouvoirs en place : « La meilleure manière d’anesthésier l’opinion, de la désorienter » selon Jean-Marie Durand des Inrockuptibles.
Petit rappel : l’étymologie grecque d’oxymore signifie «folie aiguë» !
Pierre Grillet, le 2 janvier 2020

 

 

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