Fromage en bocage...
Favoriser les petites fermes diversifiées et renforcer les paysages bocagers sont indissociables
Cette rubrique est destinée à apporter des témoignages d’agriculteurs/paysans concernant leurs pratiques, leurs relations aux bocages et leurs idées pour l’avenir…
Nous commençons par le témoignage d’une famille installée sur une petite ferme au cœur d’un bocage encore assez dense : la famille Braconnier sur la commune de Soudan en Deux-Sèvres.
Le contexte
Nous nous sommes réunis avec Hélène et Jean-Claude qui travaillent sur le site depuis… 40 ans au moins. Leurs deux enfants, Hugo et Nathan, cinéastes animaliers, sont également présents ainsi que Audrey Philippe, technicienne en hydrobiologie, amie d’Hugo. Manque Chloé Jean, la compagne de Nathan, qui travaille actuellement au CPIE de Coutières et n’a pas pu se libérer.
Hélène va prendre sa retraite dans quelques années, Jean-Claude, retraité, aide Hélène ; leurs deux enfants se sont orientés vers le cinéma animalier. Ils habitent sur la ferme ainsi qu’Audrey et Chloé.
Un coin de bocage préservé
Jusqu’à présent, ce coin de bocage a été préservé grâce à la volonté d’Hélène et Jean-Claude qui ont, dès le départ, préféré adapter leurs pratiques à leur environnement plutôt que l’inverse, ceci malgré tous les avis contraires dispensés par les techniciens à l’époque.
Alors, que va-t-il se passer lorsqu'Hélène décidera de partir à la retraite ?
Hélène parle du présent et de l’avenir : « avec Audrey, nous venons de constituer un GAEC dont le numéro vient d’arriver ce jour ! C’est le GAEC des Trognes, (en référence aux nombreuses trognes ou arbres têtards, présentes sur le site)... Nous allons ainsi travailler ensemble pendant quelques années ».
Le déclic
Audrey fait partie de cette catégorie de personnes que les chambres d’agriculture se plaisent à nommer les NIMA (non issus du monde agricole).
Alors qu’elle travaillait à l’île de la Réunion dans un bureau d’études environnemental aquatique, elle a découvert la ferme des Braconnier et s’est prise de passion pour les activités paysannes. Après avoir imaginé puis abandonné un projet autour du maraichage, la ferme étant une exploitation à dominante d’élevage de moutons et de chèvres, elle décide alors de proposer une activité nouvelle, immédiatement acceptée par Hélène et Jean-Claude : la fabrication du fromage de chèvre à la ferme. Audrey souligne un point important : « c’était possible avec ces personnes (la famille Braconnier) de porter un projet de diversification car j’ai été bien soutenue en ce sens ». Certes, la famille Braconnier fabriquait déjà du fromage de chèvre mais uniquement pour sa consommation personnelle. Après avoir suivi une formation, Audrey, aidée par toute la famille, s’est lancée dans la rénovation de bâtiments pour y aménager un outil de transformation de lait de chèvre en fromage, aux normes et aujourd’hui opérationnel.
Évolution dans la continuité
Pour Hélène, un tel projet, qui s’inscrit dans une continuité de l’existant en permettant de mieux valoriser le lait de chèvres, passe aussi par quelques transformations au sein des pratiques : en premier lieu, un passage en bio en cours actuellement. Bon, la plupart des pratiques étaient déjà quasi en bio mais non labellisées. Puis est venu un agrandissement de la surface agricole : de 40 ha initialement, celle-ci vient de passer à 65 ha pour assurer une autonomie alimentaire suffisante.
Enfin, les chèvres, initialement maintenues à l’étable, vont retrouver les parcours d’herbe fraiche à l’extérieur… Un changement compliqué pour des animaux qu’il va falloir réadapter et aussi en raison du caractère humide de certaines prairies. « Ce passage ne sera pas sans difficultés mais on est tellement contents de ramener les chèvres aux champs. Quand j’étais petite, poursuit Hélène, en riant, j’allais « aux champs les chèvres » ça va me rajeunir."
Audrey compte vendre le fromage en utilisant certains réseaux existants avec des AMAP et d’autres paysans…. Très concrètement, dans un premier temps, elle vendra ses fromages aux côtés de boulangers comme sur la commune de Soudan, à Vautebis également aux côtés de La Boulange à Manu » chez Emmanuel Davignon, et aussi à Saint Benoit près de Poitiers devant la boulangerie « Le fournil d’Elina » et sur Saint-Maixent au sein d’une nouvelle AMAP. Avis aux amateurs !
Pour le moment, Audrey fabrique des traditionnels mothais sur feuille, mais également une tome qui demande un affinage beaucoup plus long en cave, ainsi que des yaourts de chèvre.
Mais alors, quid des projets d'Hugo et de Nathan ?
Hugo et Nathan souhaitaient maintenir leur activité de cinéastes. Ils réalisent des films de A à Z, font des images pour d’autres réalisateurs, répondent à certaines commandes de productions… Ils ont développé leur passion au sein de l’exploitation agricole qui fut un formidable terrain de jeu au cours de leur enfance… « Ce qui nous a plongés dans le milieu naturaliste, c’est la ferme » disent-ils. Ils aident également les parents, de temps en temps pour la traite des chèvres, ainsi que pour les cultures. Ils sont en fait particulièrement attachés à ce coin de bocage qui leur sert aujourd’hui encore de lieu favori pour y réaliser des images. Ils envisagent, lorsqu’Hélène cessera ses activités, de reprendre la ferme avec Audrey. Ils aimeraient, en fait, combiner leur métier de cinéaste avec celui de paysans.
Alors, quel avenir pour ce bocage ?
Après tout, ces nombreuses haies et ces prairies humides pourraient être considérées comme un handicap. Comme nous l’avons vu, les prairies fortement humides en bas de la ferme ne seront pas favorables pour les chèvres (risques de parasites plus élevé). En revanche, en période de sécheresse, elles assurent la production d’une bonne quantité de foin. Les haies, sont utilisées pour chauffer la ferme. Jean-Claude fabrique aussi des outils. Leur utilité pour la ferme mais également pour les animaux (abris) n’est plus à démontrer, même si elles impliquent un réel travail d’entretien.
C’est Jean-Claude qui va répondre à la question sur les relations entretenues entre eux-mêmes et ce bocage si particulier. Jean-Claude n’a pas trop envie de parler du rôle des haies… Il est vrai que ça fait au moins 40 ans que ces rôles sont décrits, expliqués y compris dans les lycées agricoles…
C’est à partir d’une approche sensible qu’il préfère en parler… « C’est mon cadre de vie, je m’y sens bien, c’est agréable, beau et foisonnant d’une vie qu’on a envie de découvrir à chaque instant. Lorsqu’un naturaliste vient nous voir, il nous fait souvent découvrir quelque chose de nouveau. Je ne peux pas imaginer de travailler sur de grandes parcelles de 10 ou 40 ha d’un seul tenant, quel ennui ce serait pour moi de travailler ainsi ! En tant que paysan, je ne conçois pas de faire ce métier ailleurs».
A la question : comment tu vois tous ces changements au sein de la ferme ? Jean-Claude nous répond sans hésiter : « quel plaisir de voir que tout ne s’arrêtera pas après nous !»
Une jolie conclusion pour ouvrir cette rubrique.
Propos recueillis par Marie-Do Couturier & Pierre Grillet