La grande arnaque des compensations écologiques

photo du bocage

Il y a la théorie...

« Aucune perte nette de biodiversité ». Si les mesures dites compensatoires ont été inscrites dès 1976 dans la loi sur la protection de la nature, la doctrine « Éviter, réduire, compenser », confortée par la loi de 2016 sur la biodiversité, règne de plus en plus en maître dans toutes les études environnementales réalisées à propos de projets d’aménagements. Qu’en est-il dans la réalité ?

Le contenu est séduisant : il s’agit dans un premier temps de tout faire pour éviter les impacts (ce qui pourrait aller jusqu’à la remise en cause du projet), puis réduire ceux qui ne peuvent être évités, et enfin compenser les impacts dits « résiduels », dont l’évitement est reconnu impossible, par un ensemble d’actions en faveur de l’environnement. La compensation écologique peut consister en la protection d’espaces naturels, la restauration, la valorisation ou la gestion dans la durée d’habitats naturels. Et depuis la dernière loi, l’objectif serait d’aboutir à « aucune perte nette de biodiversité ».
Ces « obligations de compensation écologique » impliquent la possibilité de remplacer ce qui est détruit à un endroit par un bout de nature supposé équivalent à un autre endroit (en bon état de conservation ou à restaurer). Nous sommes arrivés à l’ère de « la technicité qui peut tout faire ». Et de plus en plus, de nombreux organismes, conservatoires et bureaux d’études portent leur « génie écologique » au plus haut stade, quasi démiurgique, en accréditant plus ou moins volontairement le fait que « tout est possible » ou presque.
Il est facile de laisser croire qu’une compensation va soit, annuler les effets négatifs d’un aménagement, soit dans certains cas, et comme on le lit de plus en plus fréquemment, « améliorer l’environnement »… Dans les faits, la première phase d’évitement qui devrait être essentielle est souvent (presque toujours) court-circuitée et reste superficielle. Un rapport rendu début 2017 par une commission d’enquête du Sénat en fait le constat.1

Logiquement, aucun aménagement ne devrait entraîner de perte de biodiversité notamment grâce aux mesures de compensation obligatoires… On détruit et on compense !... Et dans certains cas de plus en plus fréquents, on n’hésite plus à dire qu’on « améliore ». Des associations de protection de la nature et des conservatoires d’espaces naturels n’hésitent plus à louer les bienfaits d’une autoroute ou d’une LGV pour la biodiversité !2
Mais qu’en est-il dans la réalité ?

Pourtant, quelque chose ne fonctionne pas dans ce système

« On constate que tous les arrangements sont possibles en France en matière de compensation. En pratique, l’enjeu est que les projets d’aménagement « passent », ces derniers étant « forcément » sources de croissance économique et de création d’emplois. La compensation apparaît ainsi comme l’outil permettant d’obtenir un compromis ».3 Extrait d’un article publié dans le journal « Reporterre » en 2016 et écrit par un économiste et un écologue, sous le titre évocateur : « La compensation écologique, ou comment « écoblanchir » les projets bétonneurs »…
Quelques travaux scientifiques soulignent l’échec de la majorité des mesures compensatoires pour lesquelles nous disposons d’un recul suffisant. Un milieu reconstitué ne sera jamais équivalent à celui d’origine. Curran et al, 20144 après avoir étudié plus de 2000 sites répartis dans différents pays du monde, démontrent qu’il faudrait compenser 20 ha pour 1 ha détruit, voire jusqu’à 100 pour 1 pour espérer obtenir quelques résultats. Mais dans la réalité, c’est quasiment impossible dans un pays comme la France. Et puis, si le nombre de grands projets se maintient, il deviendra de plus en plus difficile de trouver des espaces libres pour les compensations…Leur conclusion mérite réflexion : « la politique de compensation conduit à une perte nette de biodiversité, et représente une utilisation inappropriée de l'outil autrement précieux de la restauration des écosystèmes ».
Une étude scientifique très récente (Magali Weissgerber et al, 2019) et menée sur 24 projets d’infrastructures en Occitanie et dans les Hauts-de-France vient de démontrer que dans 80 % des cas, les mesures de compensation ne permettent pas d’éviter une perte de biodiversité.5
A l’heure où de plus en plus d’études soulignent les effondrements de telle ou telle population animale dans le monde et tout particulièrement concernant les insectes, et où les questions écologiques apparaissent comme étant prioritaires, il serait temps de mieux réfléchir à nos aménagements et projets de soi-disant développement : les questions essentielles devraient porter sur l’utilité réelle du projet pour la collectivité. Est-il indispensable ? Est-il vraiment utile pour l’ensemble de la population ?
Malheureusement, ces questions sont le plus souvent expédiées, voire ignorées. Et le fiasco des enquêtes dites d’utilité publique ne peut que renforcer ce triste constat.

Pierre Grillet

Notes - 1- Il s’agit d’une affirmation clairement exprimée dans un journal par une association de protection de la nature du sud de la France et dont la phrase exacte est : « Au final, cette autoroute aura fait plus de bien que de mal à la nature » (dans le journal publié par VINCI autoroutes « Objectif A9 Montpellier », avril 2013) et pour les conservatoires, plusieurs responsables n’hésitent plus à dire que les compensations issues des grands travaux, et notamment de tracés LGV dans l’Est, ainsi que d’autoroutes dans le sud, sont une vraie « opportunité » pour leur structure….« Il y avait des disponibilités financières intéressantes, on avait la possibilité de monter des programmes conséquents…. Ça a été une vraie opportunité, très importante localement ». a déclaré le directeur d’un conservatoire de l’est de la France dans le journal de : Réseau ferré de France : LGV Rhin-Rhône, branche Est. Paroles d’expert.
 2 - Harold Levrel, économiste, est professeur à l’AgroParisTech et chercheur au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired). Denis Couvet, écologue, est professeur au Muséum national d’histoire naturelle et directeur du département Écologie et gestion de la biodiversité (EGB). Ils ont publié une note sur la compensation, publiée par la Fondation de l’écologie politique : Les enjeux liés à la compensation écologique dans le projet de loi biodiversité.
 3 - Is there any empirical support for biodiversity offset policy? Michael Curran, Stefanie Hellweg & Jan Beck Volume 24, Issue 5, 1250, Article first published online: 1 July 2014. Ecological Applications.
 4 - Biodiversity offsetting: Certainty of the net loss but uncertainty of the net gain. Magali Weissgerber, Samuel Roturier, Romain Julliard, Fanny Guillet. Biological Conservation, 2019 https://doi.org/10.1016/j.biocon.2019.06.036

 

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