La loi immigration : une ineptie

Honte à celles et ceux qui ont voté pour elle

La loi immigration : une ineptie

Honte à celles et ceux qui ont voté pour elle

L’objet de cette expression n’est pas de détailler la nouvelle loi d’extrême droite sur l’immigration. De nombreux articles et commentaires ont déjà été publiés sur ce sujet et il est facile d’y retrouver les sources. Notre objectif ici tient plutôt dans la volonté de revoir comment nous, habitants d’un pays riche, nous sommes devenus totalement ignorants de l’histoire humaine au point de repousser le nouvel arrivant et alimenter ainsi, une peur fantasmée de celle ou celui que nous appelons « l’étranger ».

 

Un rappel indispensable : ce sont les migrations qui ont peuplé le monde

« La migration est fondamentale à notre survie ».

« La génétique et les scientifiques pourraient rappeler que nous avons tous des ancêtres migrants et que, si nous avons des enfants, eux ou certains de leurs descendants migreront. C’est inhérent à notre espèce depuis des centaines de millénaires. Nous avons toujours migré et nous nous sommes toujours mélangés, à quelques exceptions près. Cela fait partie de notre constitution d’espèce ». Des propos tenus par Evelyne Heyer, biologiste et anthropologue-généticienne.

« Nous venons tous d’Afrique »

Tous les non-Africains actuels descendent de quelques milliers d’individus qui ont quitté l’Afrique il y a probablement 60 000 ans. « On est tous cousins et, surtout, on a tous des ancêtres migrants dans nos généalogies et ce, depuis des millénaires… nous sommes tous le fruit d'une espèce qui a foulé le sol africain il y a environ 7 millions d'années. Notre lignée humaine (Homo et Australopithèques) s'est séparée des autres hominidés (chimpanzés et bonobos) il y a environ 7 millions d'années. À partir de là, le gros de l'évolution de notre espèce s'est effectué en Afrique. Notre espèce Homo Sapiens a émergé en Afrique il y a maintenant 200 000-300 000 ans. Pour l'essentiel, l'intégralité des 7,5 milliards d'êtres humains de la planète descendent des mêmes populations préhistoriques issues d'Afrique. Nous sommes les héritiers de plein de petites populations qui ont échangé entre elles à divers endroits de l'Afrique, du nord au sud, et d'est en ouest ». C’est Evelyne Heyer qui s’exprime ainsi au micro de Ali Rebeihi dans l'émission de Radio France "Grand bien vous fasse".[1] Des propos confirmés par Carole Reynaud-Paligot, historienne et sociologue : « Nous venons tous d'Afrique. Donc forcément dans leurs ancêtres, ces personnes (racistes, identitaires et xénophobes) ont toutes des migrants. En Europe, on a été noirs aux yeux bleus pendant très longtemps ». Les premiers européens étaient en fait tous noirs !

 « Gentil avec les gentils, méchants avec les méchants ».

Une telle phrase pourrait relever d’une histoire enfantine qui serait alors jugée trop simpliste y compris pour des jeunes élèves de cours élémentaire. Pourtant, elle a bel et bien été prononcée par un ministre et pas n’importe lequel en la personne de Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur ! Comment un responsable politique de ce niveau peut-il encore tenir un tel discours ? Qui suis-je ? Un gentil ou un méchant ? Darmanin lui-même, est-il un gentil ou un méchant ? Aux yeux de qui et selon quels critères ? Si je suis un gentil, alors je peux circuler mais si je suis un méchant, quel sort va-t-on me réserver ? Suis-je méchant car migrant sans emploi, militant pour le vivant, adepte de la désobéissance civile, petit délinquant voleur pour se nourrir… ? Les « méchants » migrants représenteraient un danger pour les « bons » français ! Que fait-on de ces délinquants en col blanc, qui par leurs agissements, font beaucoup de mal à leur pays, tel Nicolas Sarkozy pourtant tant admiré par ce même ministre. À en croire le sort réservé pour le moment à ce personnage politique qui conseille de plus en plus étroitement Emmanuel Macron, les méchants peuvent ne pas être considérés comme tel, s’ils appartiennent à une certaine catégorie sociale composant ce microcosme oligarchique. À une certaine époque, c’étaient les juifs qui étaient considérés comme les méchants avec les résultats que l’on connaît. En Allemagne, le parti d’extrême droite « Alternative für Deutschland » a tenu une réunion en novembre 2023, afin d’entamer une réflexion pour expulser tout allemand non assimilé du territoire germanique… Leur plan baptisé « remigration », vise à expulser ces « méchants » demandeurs d’asile, étrangers et citoyens considérés comme « non assimilés ». Un projet de déportation massive, qui rappelle les heures les plus sombres de l’histoire. Dans les années 38, les nazis réfléchissaient à la déportation de plusieurs millions de juifs qui étaient considérés comme beaucoup trop nombreux, en direction de… Madagascar, le « Madagaskar Projekt » avec l’appui du gouvernement français, avant que les nazis n’optent pour une solution beaucoup plus radicale. Mais Gérald Darmanin ne prononce pas ces mots à la légère. Parler des gentils et des méchants permet de laisser croire que certains immigrés seraient sérieux, responsables, obéissants et travailleurs, totalement « assimilables » pour reprendre cet horrible terme tellement usité actuellement, donc en capacité d’être relativement bien accueillis, alors que les autres seraient à bannir. Ils seront d’autant plus gentils, qu’ils occuperont un emploi indispensable mais que très peu de « français » ne veulent exercer. Les fameux métiers en tension. D’autant plus en tension, qu’ils sont le plus souvent, difficiles, fatigants, dangereux, avec des ouvriers fort mal rémunérés. Une façon de laisser croire qu’il n’y aurait aucun jugement raciste, ni xénophobe dans les choix opérés. Une formule qui plaît aussi aux bourgeois qui, en aucun cas, ne sont racistes car ils aiment bien leur immigré qui paye régulièrement le loyer de son taudis ou qui fait le ménage chez eux, s’occupe de leurs enfants ou/et de leurs vieux parents. Mais à condition qu’ils ne soient pas trop nombreux et surtout très polis et très obéissants ! Après tout, ils doivent se montrer reconnaissants et ne surtout pas oublier de dire « merci ».

Eux et nous, je, moi et les autres, les étrangers et nous…

Tout est fait pour entretenir une telle partition : les autres, les étrangers sont les méchants potentiels dont il convient de méfier. Je dois me méfier, protéger ma famille. Une fois le tri « gentils/méchants » opéré, celles et ceux qui viennent d’ailleurs sont alors regardés sous l’œil de la méfiance et, dans de nombreux cas, de la haine. Comme si nous n’avions rien à apprendre d’eux, de leurs cultures, leurs récits, leurs expériences, comme si leur présence ne devrait être vue que comme une charge « un coût financier » et non pas une richesse. Comme si, nous, parce que français reconnus, serions automatiquement supérieurs. Posons-nous individuellement la question : pourrais-je exister sans les autres ? Sans ces millions de réfugiés ? Puis-je exister si je fais mine de les ignorer ? Qui sont les autres ? Des ennemis potentiels, des concurrents comme beaucoup voudraient nous les présenter ou des personnes qui permettent à chacun de se construire ? Voilà une réflexion fondamentale qu’il faudrait développer prioritairement dès l’enfance. Octavio Paz, essayiste et poète mexicain engagé et pour qui « Toute culture naît du mélange, de la rencontre, des chocs. À l’inverse, c’est de l’isolement que meurent les civilisations », est explicite : « Pour que je puisse être, il me faut être autre, sortir de moi, me chercher parmi les autres, les autres qui ne sont pas si moi je n'existe pas, les autres qui me donnent pleine existence, je ne suis pas, il n'y a pas de je, toujours nous sommes autres… ».[2] « Je » est un autre et si cet autre n’existe pas, alors « je » n’existe pas ! Si cet autre est humilié, méprisé, alors c’est moi qu’on humilie. Nous devrions imaginer une situation inversée : nous, français, serions dans l’obligation de partir en raison d’un conflit ou de problèmes économiques importants. Comment souhaiterions-nous être accueillis ? L’immigré qui arrive dans des conditions épouvantables en France, c’est aussi moi. De beaux sujets de réflexion à conduire pour l’éducation nationale.

La croyance de l’appel d’air et le piétinement de la loi par l’État…

« Ils obtiennent autant d’aides, voire plus, que ce pauvre retraité qui a travaillé toute sa vie et ne cessent d’abuser des prestations sociales », nous répète-t-on en boucle sur certains chaînes d’information, au café du coin et lors de réunions de famille. Tout cet argent en moins pour les bons, les vrais français, c’est inadmissible. Il faut croire qu’avant de partir, le futur immigré s’informe de l’ensemble des prestations auxquelles il aura droit et, en fonction du pays le plus offrant, il choisira alors sa destination précise et prendra son billet en conséquence ! Des mensonges remis en cause par de nombreux chercheurs ainsi que par les témoignages directs des immigrés. Pour le philosophe Jérôme Lèbre, « Le discours sur l’appel d’air est un élément connu de la mythologie d’extrême droite. Il consiste à affirmer que les pays qui accueillent le mieux les migrants, ou même les associations qui les sauvent en mer, provoquent instantanément l’arrivée de nouveaux migrants, aggravant donc le problème qu’ils cherchent à résoudre ; il faudrait donc que chaque État organise activement les conditions internes de son inhospitalité et lutte contre les actions humanitaires des citoyens ».[3] La journaliste Anne Chemin, dans « Le Monde »,[4] explique : « Les migrants choisiraient leur pays d’arrivée en fonction de la qualité des prestations sociales, selon le concept d’« appel d’air ». Rien de plus faux, expliquent les chercheurs ». Mediapart a interrogé la sociologue Anne-Claire Defossez et l’anthropologue Didier Fassin[5] sur ce sujet.[6] Anne-Claire Defossez est très claire : « Cette politique (avec la loi immigration) part de l’idée fausse selon laquelle la France serait un pays trop attractif. Il faudrait donc réduire son attractivité pour qu’elle ne devienne pas désirable pour les étrangers. Or, ceux qui tentent de passer la frontière à la recherche d’un lieu de vie moins dangereux ne connaissent rien de l’AME (aide médicale de l’État) ou des aides sociales. Toute la rhétorique de l’« appel d’air » est purement idéologique ». À propos des personnes qui se mettraient « hors la loi » pour accueillir les migrants dans des conditions décentes, Didier Fassin éclaircit « On parle beaucoup aujourd’hui de désobéissance civile. Or, pour les maraudeurs et les accueillants, il faudrait plutôt parler d’hyper obéissance à la loi, qu’ils sont très attentifs à respecter. En fait, ce sont eux qui rappellent à l’État que c’est lui qui ne la respecte pas. Pas plus qu’il ne tient compte des conventions internationales en matière de droits des exilés ».

Résister et accueillir les migrants comme si nous étions à leur place, c’est également résister à cette montée de l’extrême droite dans différentes régions du monde et notamment en Europe. C’est résister à cette idéologie des « gentils » contre les « méchants », de l’identitaire, de la xénophobie, c’est faire oublier qu’il y aurait « eux » et/contre « nous », « moi » et/contre « les autres ». C’est reconnaître aussi qu’ils peuvent nous enrichir intellectuellement. Une porte ouverte sur notre connaissance du monde.

Oser fabriquer puis voter une loi reprenant les idées essentielles du Front national défendues depuis plus de 40 années et qui repose sur une précarisation encore plus importante de personnes déjà fragilisées par leur voyage obligé et risqué car semé d’embuches équivaut à nier le droit à l’existence de la plupart de ces personnes. Nier tout ce qu’elles peuvent, à leur tour, nous apporter. C’est accepter l’idée que nous leur serions supérieurs. C’est reconnaître notre xénophobie et notre peur de ceux que nous appelons des « étrangers ».

Les élu-es qui ont décidé de valider une telle loi ont pris une très lourde responsabilité. Ils l’ont fait en toute connaissance de son contenu. Ils n’ont même pas été choqués par les discours triomphalistes de l’extrême droite. Cette loi est une véritable honte nationale !

En conclusion, laissons à nouveau la parole à la chercheuse Evelyne Heyer : « Nous descendons tous des mêmes ancêtres issus d'Afrique. Nous sommes toutes et tous génétiquement identiques à 99,99 %. Prétendre le contraire et infirmer cet état de fait, pour défendre des idées racistes fondées sur la croyance en des différences absolues entre les humains, est la grande fake news de ces 200 dernières années. S'opposer au mélange est une peur complètement irrationnelle et inentendable d'un point de vue scientifique ».[7]

Pierre Grillet

 

 

 

[1] Ali Rebeihi 2021 (19 mai). « ANTHROPOLOGIE - Evelyne Heyer : Nous partageons à 99,99 % les mêmes origines ADN ». Grand bien vous fasse. Radio-France. https://www.radiofrance.fr/franceinter/anthropologie-evelyne-heyer-nous-partageons-a-99-99-les-memes-origines-adn-3748182

[2] Ocatavio Paz. 1957. Octavio Paz : Piedra del sol. Edition Tezontle. Mexico.   Benjamin Péret (traducteur). 1994. "Liberté sur parole" chez Editions Gallimard. Octavio Paz (1914 – 1998).

[3] Lèbre Jérôme. 2019. « « Appel d’air », attractivité libérale et inhospitalité absolue », Lignes, 3 (n° 60), p. 15-38. DOI : 10.3917/lignes.060.0015. URL : https://www.cairn.info/revue-lignes-2019-3-page-15.htm

[4] Anne Chemin. 2023 (11 janvier). « Immigration : le mythe de « l’appel d’air ». Le Monde. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/11/immigration-le-mythe-de-l-appel-d-air_6157358_3232.html

[5] Anne-Claire Defossez, sociologue et chercheuse à l’Institute for Advanced Study de Princeton (États-Unis), et Didier Fassin, anthropologue et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

[6]Nejma Brahim. 2024 (20 janvier). « Immigration : La rhétorique de l’appel d’air est purement idéologique ». Mediapart. https://www.mediapart.fr/journal/international/200124/immigration-la-rhetorique-de-l-appel-d-air-est-purement-ideologique

[7] Lire : Evelyne Heyer. 2020. « L’odyssée des gènes ». Éditions Flammarion

Pour écouter des paroles de migrants, il faut aussi écouter l’émission de Mediapart : « loi immigration : une fabrique à sans-papiers »

https://youtu.be/lfJg50PmSjY?si=wm9VdeCKRn_1-B3o

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