Les bassines de la discorde

Les projets de bassines agricoles en Deux-Sèvres : un cas « école » de l’évolution de la protection de la nature en France
Le projet est monstrueux : construire plus de 13 bassines qui occupent jusqu’à 20 ha de terres chacune, bassins prévus pour retenir l’eau à fins d’irrigation de grandes cultures industrielles, à l’échelle d’un seul département, beaucoup plus à l’échelle de l’ancienne région Poitou-Charentes !

L’agriculture a besoin d’eau, c’est un fait. Mais de quelle agriculture parle-t-on ? Celle, industrielle et exportatrice au détriment des petites fermes, tant prônée par la FNSEA ou celle d’une agriculture paysanne destinée à satisfaire en priorité les besoins locaux ? Pourquoi personne n’est-il capable de répondre à cette simple question : sachant que l’agriculture industrielle dépense déjà beaucoup trop d’énergie pour produire une calorie de nourriture, quelle dépense énergétique faut-il rajouter localement si on prend en compte la construction de ces bassines, les matériaux utilisés pour l’étanchéité et leur entretien futur indispensable pour assurer dans les meilleures conditions leur finalité ? J’ai posé la question sans obtenir de réponses à Madame Batho lorsqu’elle s’est exprimée en faveur du protocole d’accord signé en préfecture et entérinant le projet global moyennant quelques concessions à la marge de la part des exploitants concernés. La chambre d’agriculture de la Vienne connaît bien ces questions liées à l’entretien de tels aménagements, ayant dépensé une somme considérable pour résoudre des problèmes d’étanchéité et de digues écroulées sur d’anciennes bassines.
Mais les arguments opposés à de tels aménagements sont tellement nombreux qu’il faudrait au moins 20 pages pour les expliquer et là n’est pas notre propos. D’autres, le font beaucoup mieux.
Notre propos concerne l’attitude du mouvement associatif de protection de la nature face à un tel projet. Une attitude très disparate : ainsi, Nature Environnement 17 s’oppose farouchement à ces projets alors que Deux-Sèvres Nature Environnement les soutient, via le protocole d’accord signé en préfecture en décembre 2018.
Deux-Sèvres Nature Environnement, tout comme le groupe ornithologique des Deux-Sèvres, étaient au départ opposés à ces projets et participaient ou soutenaient les manifestations organisées pour les faire stopper.
Devant une opposition grandissante, la préfecture a appliqué les consignes dorénavant en vogue au niveau gouvernemental : lorsqu’une opposition à un projet d’aménagement risque de déborder, il faut d’urgence rassembler les « acteurs » autour d’une table, les valoriser en les traitant d’acteurs responsables, pour discuter du projet. Bien entendu, il est hors de question de discuter autour de l’opportunité de l’aménagement mais d’envisager quelques améliorations destinées à le verdir. Triple avantage pour l’État dans un tel processus : on parvient à un consensus autour du projet, on divise les mouvements d’opposition et on clame dans tous les médias que le projet est exemplaire !


On peut résumer ce qui s’est passé de la façon suivante :
1) Au départ, le monde associatif de la protection de la nature s’oppose à un projet clairement inutile pour la société, gaspilleur énergétiquement, coûteux et destructeur pour la nature.
2) Face à l’opposition montante, la préfecture propose la création d’une commission réunissant l’ensemble des acteurs pour discuter du projet…
3) Certaines associations ‘responsables’ acceptent d’y participer. Mais les discussions portent non pas sur l’intérêt ou non du projet pour la société mais comment l’habiller de vert, obtenir quelques engagements volontaires et quelques contrats d’étude, s’il y a lieu.
4) Cette discussion aboutit à un « consensus ».
5) On valide au final le projet en l’accompagnant pour « limiter la casse », on obtient des compensations et on montre aux autorités notre grand sens des responsabilités !
6) Ce projet est alors présenté auprès du grand public par les autorités et les associations comme « exemplaire » !
7) Le monde associatif qui était uni au départ est alors divisé. D’un côté ceux qui ont accepté la discussion : les constructifs ou encore les pragmatiques. De l’autre côté les « jusqu’au-boutistes », extrémistes, les « hors-sol » avec lesquels rien n’est possible…

Au final, tout bénéfice pour le business : le projet coûteux, inutile et destructeur, mais reverdi, se réalise et les « écolos » se battent entre eux !
Si le conseil d’administration de Deux-Sèvres Nature Environnement (membre de Poitou-Charentes Nature et de France Nature Environnement) a entériné cette grave décision, celui du groupe ornithologique des Deux-Sèvres s’est opposé à son président qui a démissionné.
Cette attitude de Deux-Sèvres Nature Environnement (l’association de protection de l’environnement la plus importante du département) est révélatrice d’une attitude plus globale de l’ensemble des grosses structures associatives de protection de la nature dans notre pays. Des structures qui emploient beaucoup de salariés, qui ont besoin d’asseoir une crédibilité auprès des organismes financeurs comme les départements et les régions mais également de nombreux partenaires privés et qui ont décidé de passer d’une action militante à une concertation raisonnée.
Mais une concertation faussée d’emblée  car on ne se concerte pas sur l’utilité ou l’inutilité d’un projet pour la société mais comment l’habiller de vert. On ne remet rien en cause sur le fond, on se contente de petits arrangements entre personnes qui se disent « responsables ».
Une protection de la nature qui a finalement besoin des destructions pour survivre !
Pierre Grillet

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