Les grenouilles rousses en paysages bocagers de l'ouest
Boisement inondé, utilisé comme site de ponte par les grenouilles rousses
Une grenouille étonnante, présente chez nous comme à plus de 2500 m d’altitude en montagne et jusqu’au cap Nord en Norvège ! Une grenouille qui se reproduit en plein hiver dans l’ouest de la France. Une grenouille qui, chez nous, utilise essentiellement pour se reproduire des milieux aquatiques très temporaires : flaques, ornières, petits ruisseaux hivernaux… Une grenouille qui, à l’instar de la salamandre tachetée, semble utiliser en Gâtine de préférence les petits boisements facilement inondables au moins partiellement, entrecoupés de prairies humides, le tout relié par de petits ruisseaux temporaires. Une grenouille qui n’hésite pas non plus lors de ses déplacements, en dehors de la période de reproduction, à utiliser les réseaux de ruisseaux qui fourmillent en Gâtine. Des habitats qui font partie des composantes de nos paysages bocagers mais qui, dans le même temps, sont parmi les plus menacés.
Une grenouille en nette diminution dans nos bocages
Alors qu’au niveau européen, on la considère comme une des espèces les plus répandues et abondantes malgré une tendance générale à la baisse ces dernières années, son statut est beaucoup plus précaire au niveau régional. Dans l’ouest de la France, les populations sont moins importantes, plus isolées et quasiment tous les suivis entamés par des naturalistes, depuis 20 ans pour certains d’entre eux, font apparaître une régression marquée. Bien que soumis à de fortes fluctuations d’une année à l’autre, les suivis des sites de reproduction, par comptage annuel des pontes, confirment, pour la plupart, cette diminution qui se traduit soit par l’abandon total de sites autrefois utilisés, soit par une nette diminution de leur fréquentation.
Nos constats
En Gâtine deux-sévrienne, avec Jean-Marc Thirion et Frédéric Beau, nous avions fait un premier état des sites de reproduction au cours de l’hiver 2002-2003. Nos résultats avaient alors dépassé toutes nos espérances avec de nombreux sites de reproduction découverts et des populations plus importantes que nous le pensions. Depuis, nous avons suivi annuellement 4 sites proches les uns des autres dans le sud de la Gâtine (bois de Soudan). En janvier 2003, nous avions comptabilisé 5288 pontes de grenouilles rousses. L’année suivante, nous ne comptions que 2575 pontes (50% en moins), pour tomber à 500 pontes en 2008 ! Mais l’intérêt d’un suivi sur le long terme permet aussi de constater les très importantes fluctuations. Ainsi, en 2016, nous comptabilisions sur ces sites 3070 pontes pour diminuer à nouveau de moitié l’hiver suivant jusqu’à retrouver un niveau très bas dès 2019 (1000 pontes) puis en 2020, 852 pontes et en 2021, moins de 500 pontes.
Malgré l’importance de ces fluctuations en fonction des années, la tendance globale qui apparaît est nettement à la baisse depuis 2003 (confirmé par les courbes de tendance). Nous n’avons jamais retrouvé, au niveau du ressenti naturaliste, cette impression d’abondance que nous vivions lors de nos prospections au cours de l’hiver 2002 – 2003. Que s’est-il donc passé ? L’été 2003 a alors été marqué par une canicule exceptionnelle. Cette canicule a-t-elle provoquée une surmortalité chez les grenouilles rousses ? Depuis, ces dernières années, nous constatons également un assèchement précoce des points d’eau temporaires, ce qui ne permet pas aux têtards de se développer. Certains hivers trop secs ont également perturbé la reproduction.
Dans l’ensemble, les constats dressés en Charente-Maritime par Jean-Marc Thirion (OBIOS), en Loire-Atlantique par Didier Montfort, Philippe Evrard et Mickael Ricordel, ainsi qu’en Normandie par Mickaël Barrioz (CPIE du Cotentin), confirment une tendance au déclin.
Entre destruction des habitats et changement climatique…
Si, dans certains cas, la destruction de sites de reproduction (empierrement d’un vieux chemin, comblements d’ornières, coupes à blanc, drainage et retournement de prairies humides...) explique facilement l’abandon du lieu de reproduction concerné, on constate aussi une disparition ou une diminution importante du nombre de pontes sur des sites n’ayant pas fait l’objet de modifications visibles. Quelles en sont les explications possibles ? La distribution géographique de cette grenouille montre une préférence pour des habitats montagnards ou très nordiques, donc plutôt froids. Dans l’ouest de la France, en plaine et dans des régions soumises au climat océanique, on peut estimer que cette espèce s’y trouve en limite de ses capacités physiologiques. Dans de telles conditions, un changement climatique allant dans le sens d’un réchauffement global accompagné de perturbations dans le régime hydrique, devrait provoquer des impacts négatifs pour cette espèce : températures estivales trop chaudes avec des canicules qui tendent à se répéter ? Assèchement trop précoce des zones temporaires utilisées pour la reproduction et ne permettant pas aux têtards d’accomplir tout leur développement ? Maladies induite par des stress physiologiques en raison des changements climatiques, maladies induites par notre utilisation excessive de produits dangereux ?
Il est probable que ce soit l’ensemble de ces facteurs qui entraîne une telle évolution. Certains d’entre eux et notamment les destructions d’habitats ainsi que l’emploi de produits dangereux pour le vivant dépendent directement de nos actions, de notre comportement vis-à-vis du vivant et devraient alors être facilement corrigés. D’autres, tel le changement climatique, même s’il n’est qu’une conséquence de nos actions, sont beaucoup moins maitrisables aujourd’hui sans un changement rapide et en profondeur de nos sociétés.
Pierre Grillet & Jean-Marc Thirion le 8 février 2021
Remerciements aux personnes qui ont participé à ces suivis et tout particulièrement la famille Braconnier, Alexandre Boissinot, Florian Doré, Marie-Do Couturier, Julie Vollette, Alain Texier… Et merci à Olivier Swift pour sa photo de grenouille rousse sur l'accroche.