L'UICN : vers un congrès mondial de la protection de la nature ou de sa destruction ?

L’Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN) : référence mondiale de la protection de la nature pour les sociétés capitalistes et destructrices ?

L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a été fondée en France, en octobre 1948 après la conférence internationale de Fontainebleau. Depuis, l’organisation est devenue l’Union Internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources. L’un de ses fondateurs, Roger Heim, alors directeur du Muséum national d’histoire naturelle, en fut le président de 1954 à 1958. C’est l’UICN qui a initié la notion de « développement durable » sous l’appellation de départ : « développement soutenable ».  Elle rassemble plus de 1 000 gouvernements et ONG, ainsi que près de 11 000 scientifiques et experts bénévoles répartis dans quelque 160 pays. Consacrée à la cause de la conservation de la nature, ses objectifs sont de favoriser la biodiversité, l’utilisation rationnelle et équitable des ressources naturelles, un développement respectueux de l’environnement. Devenue une référence mondiale en matière de protection de la nature (l’UICN se plait à se présenter comme « le plus vaste réseau mondial de protection de l’environnement »),  c’est elle qui initie également les fameuses listes rouges d’espèces menacées dans le monde.

Presque un « gouvernement mondial » de la protection de la nature auquel nombre de naturalistes (dont je fais partie) et nombre d’associations ont largement adhéré.
Pourtant l’évolution de cette structure, qui en 70 ans n’a jamais réussi à stopper l’érosion du vivant, a de quoi laisser perplexe.

Une conception très anthropocentrique

En 1980, l’UICN déclarait : « la gestion par l’homme de la biosphère de manière telle que les générations actuelles tirent le maximum d’avantages des ressources vivantes tout en assurant leur pérennité pour pouvoir satisfaire aux besoins et aux aspirations des générations futures ».

Une telle définition ne fait que renforcer cet anthropocentrisme dont l’homme occidental fait preuve depuis des siècles. La conservation ne serait motivée que pour satisfaire nos propres besoins et ceux des générations à venir. Une conservation qui convient finalement parfaitement à nos sociétés basées sur la consommation, la compétitivité, la croissance et les inégalités.

Un réseau si vaste qu’il englobe les pires destructeurs…

D’ailleurs, l’UICN s’est considérablement rapproché de ce petit monde des grosses entreprises et multinationales, ce qu’elle présente comme une évolution positive qui aurait été, selon ses responsables, « impossible à réaliser lors de la création de l’UICN » : ainsi, en décembre 2013, le Conseil de l’UICN a accueilli parmi ses  membres  la  première  organisation  économique  mondiale  à  but  non  lucratif  :  le  « Conseil  mondial  des  affaires  pour  le  développement  durable », qui regroupe entre autres : General Motors, DuPont, 3M, Deutsche Bank, Coca-Cola, Sony, Caterpillar, BP, Royal Dutch Shell, Lafarge, Areva, EDF, GDF Suez, Havas Group, L'Oréal, Michelin, Schneider Electric, Suez Environnement, Veolia Environnement, Monsanto, Syngenta, Novartis, Bayer, Apple, Total, Nestlé, Rio Tinto pour avoir « un Impact positif net sur la biodiversité. » Une telle liste se passe de commentaires.

Une proximité avec la puissance des multinationales et des politiques occidentales qui pose question

On le constate lors de ses congrès mondiaux qui ont lieu tous les 4 ans. L’occasion pour l’UICN de valoriser au maximum le pays hôte et leurs responsables politiques. A titre d’exemple, son dernier congrès en 2016 s’était tenu à Hawaï, une véritable zone expérimentale à ciel ouvert pour les géants de l’agrochimie. Pourtant, difficile de trouver dans les différents comptes rendus des multiples rencontres organisées lors de ce congrès une condamnation de ces entreprises. Bizarre ou peut-être pas, car certaines de ces multinationales de la chimie adhèrent à l’UICN.

Autre cas plus récent et très inquiétant : le prochain congrès doit se tenir, dans la ville de Marseille en septembre 2021. Il s’agira d’un moment fort de la protection de la nature réunissant plusieurs milliers de personnes avec une forte couverture médiatique. Monsieur Renaud Muselier, Président de la Région Sud Provence - Alpes - Côtes d’Azur a affirmé son soutien (lors d’un message vidéo) au Congrès français de la nature 2019 qui réunissait alors 300 représentants des organisations, experts et partenaires du Comité français de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) à Marseille pour préparer le futur Congrès mondial de la nature en 2021 . Ce monsieur n’a pas hésité à déclarer lors de ce message : « la biodiversité est un vrai combat ». Ce même Président avait menacé de couper les vivres aux parcs naturels régionaux du Lubéron et du Verdon ainsi qu’à l’association France Nature Environnement (PACA) s’ils maintenaient leur action en justice contre le fonctionnement d’une centrale thermique biomasse à Gardanne, laissant présager de futurs déboisements destructeurs provoqués par les énormes besoins en bois de cette centrale. Pourtant l’UICN n’a rien dit sur cette question. A l’approche de son congrès,  l’UICN n’hésite pas non plus à honorer le pays hôte de son congrès mondial : « Notre pays hôte, la France, possède non seulement une longue histoire de leadership sur les questions environnementales, mais a également montré un engagement solide pour l'avenir de la conservation de la nature » a déclaré récemment Malik Amin Aslam Khan, Vice-Président de l'UICN. Sur son site présentant son congrès mondial, l’UICN met en exergue les déclarations d’Emmanuel Macron sur la biodiversité en se félicitant d’un « partenariat solide » engagé avec la France.

L’UICN, tout comme le WWF ou encore The Nature Conservancy, se positionne comme incontournable pour toute entreprise qui veut se développer en ayant une bonne image auprès du public. Force est de constater que cette « institution » de la protection de la nature n’a aucun intérêt à faire changer le système. Elle est parfaitement intégrée dans une société capitaliste dont elle tire de larges bénéfices, pour la bonne cause, bien entendu. Que deviendrait-elle dans un monde sans multinationales ? Dans un monde moins destructeur ? Dans un monde où les peuples, localement, redeviendraient maîtres de leur destin ?

Pour l’UICN qui a trouvé un nouveau concept appelé « des solutions basées sur la nature », l’efficacité de l’intervention et la distribution équitable des bénéfices et des coûts sont déterminantes dans le succès d’une solution basée sur la nature. C’est ce que l’UICN appelle dans un langage qui sent bon celui de la finance : « le retour sur investissement ». Un langage très proche de celui d’Emmanuel Macron pour qui la nature doit être vue comme un « capital irremplaçable ». Sur le site du « One Planet Summit », largement soutenu par Macron, on compare même la biodiversité à une « assurance vie » !

Le congrès mondial de l’UICN à Marseille début septembre 2021 servira-t-il de tremplin écologique pour Macron juste avant les présidentielles ?

Tout est réuni pour craindre une magnifique récupération de la protection de la nature par Emmanuel Macron avec la complicité active de l’UICN… Le « Champion de la Terre » ainsi titré par l’ONU deviendra t’il aussi le « Champion de la Biodiversité » ? Il faut reconnaître que notre Président a fort bien manœuvré ces derniers mois pour y parvenir. En témoignent ses discours autour de l’importance de la biodiversité lors du « One planet summit » tenu à Paris en janvier 2021 ainsi que la communication gouvernementale lors de la présentation du projet de loi climat en conseil des ministres. Cette communication triomphante a été reprise le plus souvent intégralement par l’ensemble de la presse et saluée comme une avancée inédite. Pourtant, la plupart des demandes formulées par la Convention citoyenne ont soit été repoussées, soit rejetées, soit considérablement amoindries. Il restera le débat parlementaire pour vérifier l’évolution ou non d’un tel texte.

Comme le souligne le journal « Reporterre » dans l’article de Gaspard d’Allens du 11 février 2021, Emmanuel Macron a compris l’importance du récit. L’article cite entre autres Cyrille Cormier, auteur du livre « Climat, la démission permanente » : « Pour les gouvernants, la création d’un récit présidentiel autour de la lutte contre le réchauffement climatique est beaucoup plus important que leur action réelle ». Macron se plait à construire un récit présidentiel sur l’écologie. Il a parfaitement compris que les actes sont finalement peu importants aux yeux de l’opinion. L’essentiel, c’est de paraître et de dire, pas de faire. Et en matière d’écologie, il ne cesse d’appliquer cela depuis qu’il est au pouvoir. Tant pis ses actions sont en contradiction avec ses discours. Il est intéressant de constater le même procédé concernant les questions sociales. Certes, l’écologie ne l’intéresse pas (ou très peu) et il a nettement choisi de chasser des voix à droite pour se faire réélire. Néanmoins, semer le trouble auprès d’une fraction de la population qui vit plutôt bien mais n’est pas insensible à la protection de la nature ne peut que lui être bénéfique.

Ne pas laisser dérouler le tapis rouge (ou vert) de l’écologie à Macron. Mais comment ?

Alors comment faire pour que ce congrès de l’UICN ne se transforme pas en une consécration écologique pour Macron qui compte bien s’y retrouver en terrain conquis alors que nous serons déjà au début de la campagne pour les présidentielles ? Pas certain que nous puissions compter sur les associations de protection de la nature déjà pleinement impliquées au sein de l’UICN et bien installées, tout comme l’UICN, dans cette société capitalise destructrice (pardon pour le pléonasme) pour apporter une quelconque contradiction. Si une telle démesure était effective et nous avons tout lieu de le craindre, Il faudra être vigilant pour réagir si nécessaire, être présent dans les médias et peut-être manifester lors de ce congrès, voire envisager d’autres formes d’actions.

Que Macron participe au congrès de l’UICN, il en a le devoir en tant que Président. En revanche, il n’a pas le droit de le récupérer à son compte car il ne le mérite en aucun cas si on juge ses actes en parfaite contradiction. On constate ses actions néfastes pour l’environnement et la biodiversité régulièrement, non seulement depuis qu’il est Président mais aussi lorsqu’il était Ministre avec sa fameuse loi baptisée « loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » qui n’a fait que détricoter tranquillement de nombreuses réglementations environnementales. à nous d’être vigilants.

Pierre Grillet, le 17 février 2021

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