One Planet Summit

11 janvier 2021 - 4e édition

Le « One Planet Summit » des « Solutions fondées sur la nature »… Encore de la communication !
A l’approche des élections présidentielles de 2022, Emmanuel Macron, qui n’hésitait pas à dire en mai 2019 : « sur l’écologie, le temps n’est plus à la parole » a pourtant bien décidé de communiquer largement autour de l’écologie en profitant de certains événements comme le congrès mondial de l’UICN. Auparavant, il s’est fortement agité lors de la tenue, début janvier 2021, de ce fameux : « One Planet Summit » dont il veut être le grand ordonnateur. Tant pis si, alors qu’il était Ministre, il a fait passer cette loi sur la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques en 2015 (nommée Loi Macron) permettant, entre autres, de largement fragiliser le droit de l’environnement. Tant pis si, tout au long de son mandat présidentiel, ses promesses écologiques n’auront jamais été tenues. Ainsi, il disait vouloir changer l’économie en pleine crise épidémique, alors que des milliards sont distribués à de très grandes entreprises polluantes sans contreparties. Il disait, juste avant son élection, tout faire pour sortir du glyphosate alors que celui-ci n’est toujours pas interdit, être garant des accords de Paris (cop.21) alors que la France a tout simplement augmenté son droit à polluer, en finir avec les traités commerciaux nocifs alors qu’il a soutenu et fait voter l’accord de libre-échange avec le Canada. Et la liste ne s’arrête pas là. Nous pourrions parler également de la ré-autorisation (certes provisoire) des néonicotinoïdes, de son attitude vis-à-vis du monde de la chasse, des promesses non tenues auprès des participants à la convention citoyenne sur le climat et de bien d’autres choses encore.

Le « One Planet Summit » reprend une initiative de l’UICN visant à créer un nouveau concept baptisé : « Des solutions pour la nature ». Cette idée, déjà initiée en 2009, a bénéficié d’une reconnaissance internationale en 2016. Le principe, selon l’UICN, est le suivant : « Mettre en avant des actions visant à protéger, gérer et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société : changement climatique, risques naturels, santé, sécurité alimentaire, approvisionnement en eau, développement socio-économique. Ces actions doivent permettre d’assurer le bien être humain et être bénéfiques pour la biodiversité. »

Pour l’UICN, « l’efficacité de l’intervention et la distribution équitable des bénéfices et des coûts sont déterminantes dans le succès d’une solution basée sur la nature ». C’est ce que l’UICN appelle dans un langage qui sent bon celui de la finance : « le retour sur investissement ».
Un langage très proche de celui d’Emmanuel Macron pour qui la nature doit être vue comme un « capital irremplaçable ». Sur le site du « One Planet Summit », on compare même la biodiversité à une « assurance vie » !
Cerise sur le gâteau, parmi les acteurs cités sur le site web de « One Planet Summit », on trouve le « Natural Capital Lab », un fonds fiduciaire hébergé par la Banque interaméricaine de développement (BID) qui veut « faire du capital naturel un nouvel actif pour les investisseurs ». Il entend notamment « pallier le manque de structures pour les entrepreneurs du capital naturel ».

Le journal en ligne « Médiapart » a publié le 14 janvier 2021 un article intitulé : « Biodiversité: rentabiliser la nature pour la protéger » rédigé par Jade Lindgaard. Avec, cette question : « Faut-il promouvoir des « solutions fondées sur la nature » pour protéger les espèces ? » Et la journaliste développe en introduction : « Derrière cette expression apparaissent des techniques de financiarisation de la nature qui menacent les droits des peuples autochtones, s’inquiètent des ONG et des chercheurs. ».
Il semble bien que nous ayons affaire encore une fois à un nouvel élément de langage, plutôt aguichant sur l’intitulé, mais redoutable sur le fond. Lorsqu’on utilise les mots : « efficacité, distribution des bénéfices, coûts, retour sur investissement, capital, actif, investisseur, entrepreneurs », ne devrions-nous pas nous monter très méfiants sur le réel intérêt et la finalité d’un tel concept ?
Autre questionnement : ne risque-t-on pas, si on reprend le contenu tel qu’il est défini par l’UICN, de considérer encore une fois la nature comme un objet à notre service en mesurant systématiquement le coût représenté par le maintien d’un écosystème avec ce qu’il peut nous rapporter ? D’accord pour faire de la protection, mais en faisant attention qu’il y ait des retours positifs pour les humains. Que fait-on s’il n’y a aucun retour positif pour notre espèce ?
Dans son article, Jade Lindgaard précise qu’une « Coalition pour la convergence des financements en faveur du climat et la biodiversité doit se fixer l’objectif de consacrer 30 % de la finance climat publique à des programmes visant des solutions basées sur la nature. Paris s’engage à le faire d’ici à 2022, à hauteur d’environ 1,5 milliard d’euros. ». La convention de l’ONU sur la biodiversité devra décider, fin 2021, d’un engagement visant à protéger 30% de la surface terrestre (contre 15% environ aujourd’hui). Que fera-t-on du reste ?
Il semble bien que l’on retombe une fois de plus dans ce processus infernal : je protège, ce qui me permet de détruire ailleurs. On serait, une fois encore, dans un système de compensation qui ne dit pas son nom. Peut-être parce que la compensation en matière de protection de la nature est loin d’avoir fait ses preuves et passe de plus en plus pour un faire-valoir dénué d’intérêt pour le reste du vivant. Alors, parler de « solutions fondées sur la nature » ne serait, une fois de plus, qu’une vaste entreprise de communication dont on nous abreuve en ce moment en matière d’environnement pour nous faire croire que le vivant serait enfin pris en compte dans nos actions.
L’autrice de l’article de Médiapart cite Frédéric Hache, directeur de l’Observatoire de la finance verte, une ONG basée à Bruxelles : « Les solutions basées sur la nature promeuvent la financiarisation de la nature au sens où, plutôt que d’arrêter de détruire la biodiversité, on finance des compensations à la déforestation ou à la pollution d’une rivière, par exemple. Cette approche revient à considérer la nature comme un capital à protéger et faire prospérer. C’est une approche néolibérale de la biodiversité, par opposition à une politique contraignante d’interdiction de la déforestation ou des pesticides. ». Elle cite également Stephen Corry, de l’ONG Survival International, « l’objectif de transformer 30 % de la planète en “zone protégée” est, en réalité, une opération colossale d’accaparement de terres, aussi massive qu’à l’époque de la colonisation européenne. Cela va causer beaucoup de souffrance et de mort. Cela n’a rien à voir avec le dérèglement du climat, la protection de la biodiversité ou la lutte contre les pandémies – en réalité, cela risque plutôt d’aggraver ces problèmes. C’est une affaire d’argent, de contrôle des terres et des ressources, et une attaque contre la diversité humaine. C’est une dépossession planifiée de centaines de millions de personnes qui risque d’éradiquer la diversité humaine et l’autosuffisance – qui sont pourtant indispensables pour ralentir le changement climatique et protéger la biodiversité ».

Noam Chomsky rappelait, en 2014, « les initiatives lancées par Survival International pour faire cohabiter la protection de la nature avec le droit et la participation des peuples autochtones sont les bienvenues. Ce sont des questions de grande importance et ces initiatives méritent d’être soutenues. ».
Nous avons ici des conceptions différentes de la protection de la nature. L’une qui n’empêche nullement les destructions car elle ne veut rien changer (tout en laissant croire le contraire) mais qui se targue de protéger la nature (détruire pour protéger) avec l’aide des meilleurs experts fournis par les grosses associations (qui s’appellent d’ailleurs des organisations non gouvernementales). L’autre qui voudrait au contraire rétablir ou renforcer les liens entre les hommes et le reste du vivant pour une cohabitation de l’ensemble de la communauté biotique. Mais ceci passe, pour nos sociétés, par de vrais changements profonds et rapides. Tout le contraire d’une transition qui sera d’autant plus lente que les multinationales, les banques, les principales associations, ainsi que les chefs d’État pour la plupart élus grâce à de puissants moyens financiers et membres ou initiateurs du fameux « One Planet Summit », n’ont aucune envie de modifier le système dominant dont ils profitent largement.
Pierre Grillet, le 18 janvier 2021

« Nous n’avons assisté qu’à un défilé d'annonces vides, bien loin des solutions portées par les populations locales, les scientifiques et la société civile… »
Extrait d’un communiqué de Greenpeace publié le 11 janvier 2021 à propos du « One planet summit »

 

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