Pour des espaces de nature férale

La nature férale concerne tous les milieux utilisés (domestiqués) par l’homme puis retournés à un état sauvage. Il s’agit d’une restauration écologique sans intervention humaine. Une prairie abandonnée évoluant en friche, un taillis forestier abandonné par son propriétaire, constituent de la nature férale. Laisser de la place pour une nature redevenue libre et sauvage dans nos paysages bocagers modifierait nos relations avec l’ensemble du vivant. Pourquoi ne pas essayer ?
Un peu de place pour la nature férale ?
Dans nos paysages à dominante bocagère, on rencontre par-ci, par-là, des traces de nature férale. A l’instar d’une espèce animale domestique redevenue sauvage, la nature férale1 concerne tous les milieux utilisés par l’homme puis retournés à un état sauvage (une ancienne parcelle agricole abandonnée, une forêt cultivée puis abandonnée, une friche industrielle…). Il s’agit alors d’une restauration écologique sans intervention humaine mais qui ne reviendra jamais à un état d’origine. Jean-Claude Génot nous explique : « La nature férale est une nature à empreinte humaine forte, que les sociétés acceptent de décoloniser, sans en rechercher un bénéfice quelconque2 ».
Une maison abandonnée entourée de ronces et de lierres, une haie livrée à elle-même, une prairie humide délaissée par la fauche ou le pâturage et transformée, pour un temps, en megaphorbiaie, un ancien taillis utilisé auparavant pour le bois de chauffage puis, abandonné par ses propriétaires et rendu à la liberté d’évoluer comme bon lui semble… Tous ces lieux où la nature reprend ses droits. Une reconquête de la naturalité qui, selon Jean-Claude Génot « définit le degré de nature d’un milieu ou d’un paysage et à l’inverse le degré d’intervention humaine. »
De telles reconquêtes impliquent une libre évolution de la nature. Une prairie libérée deviendra une friche, voire en fonction des sols et de l’humidité, une mégaphorbiaie appelées à laisser la place plus ou moins rapidement à des boisements. Et ces boisements évolueront librement à leur tour…
Dans les campagnes bocagères, de telles évolutions sont le plus souvent vécues comme un abandon, voire une défaite de l’homme. Il est très difficile d’assumer l’idée que plus personne n’entretient tel ou tel espace.
Pourtant, ne pourrions-nous pas imaginer, au sein d’un paysage bocager entretenu par les paysans qui y vivent, des espaces de nature férale qui seraient alors perçus non plus comme des « taches » ou des « abandons » mais au contraire comme des richesses naturelles supplémentaires ?
François Terrasson concluait ainsi un article consacré à la friche : « vive la friche, vive le paysan ! »3
Pourquoi ne pas proposer, sur le territoire de chaque commune, des zones de nature libérée, retirées de toute intervention humaine ?
Le futur parc naturel régional de Gâtine, à l’instar de l’expérience menée dans le parc naturel régional des Vosges du Nord pourrait ainsi être moteur pour proposer aux collectivités de tels sanctuaires de nature sauvage au milieu de territoires bocagers complexes, diversifiés et entretenus par l’homme pour satisfaire ses propres besoins alimentaires.
On peut sans doute au moins y réfléchir…
Petite précision : il ne s’agit pas de créer des petites zones communales qui seraient « protégées » pour permettre de détruire ou faire n’importe quoi sur le reste du territoire… Dans nos régions, il s’agit bien d’utiliser le bocage avec toutes ses composantes : diversification de productions agricoles, petites parcelles, réseaux de haies assez dense, petits ruisseaux, sources, mares, étangs et boisements pour que ce paysage soit à la fois fonctionnel pour nos propres besoins mais aussi pour de nombreuses espèces floristiques et faunistiques, tout en réservant des espaces suffisants pour le retour d’une nature sauvage et libre.
Pierre Grillet

Notes
1-« La nature férale ou le retour du sauvage. Pour l'ensauvagement de nos paysages » Jean Claude Génot & Annick Schnitzler. Editions Jouvence. 2020.
2« La France des friches. De la ruralité à la féralité » Annick Schnitzler & Jean-Claude Génot. Editions Quae. 2012.
3- Un combat pour la nature. François Terrasson. Editions Sang de la Terre. Textes inédits. 2011

 

 

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