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Protection de la nature et capitalisme : INCOMPATIBLES

Les principales associations de protection de la nature ont pris de l’ampleur au cours des quatre dernières décennies en devenant de plus en plus professionnelles. Parallèlement, elles sont passées, pour la plupart et selon leurs propres mots : “d’une action militante à une concertation raisonnée” en étant petit à petit « institutionnalisées ». Avec l’avènement du développement durable, ces associations se sont largement rapprochées des grosses entreprises pour y engager des partenariats.
De tels partenariats sont-ils recherchés 1) dans le but de faire changer l’entreprise ou la multinationale qui détruit et avancer ensemble ou 2) pour permettre la survie de l’association ? Bien entendu, c’est la raison 1 qui est le plus souvent évoquée. Probablement nombre d’interlocuteurs en sont sincèrement convaincus. J’y ai moi-même cru et participé à un certain moment. Mais après de nombreuses années à fréquenter de près les associations, on peut sérieusement douter des changements opérés chez TOTAL, FERRERO, LAFARGE, VINCI, BOUYGUES, EIFFAGE, CENTER PARC, BAYER, FNSEA pour ne parler que de ceux-là !
Bouygues et la LPO sont partenaires, mais Bouygues travaille actuellement sur un énorme chantier en mer à Monaco pour y construire des résidences luxueuses et espère bien en faire un écoquartier et obtenir le fameux label « biodiversity (pour la prise en compte de la biodiversité dans les projets immobiliers de construction et de rénovation) ! Et ce pauvre gypaète baptisé amoureusement « Linky » par ses sponsors avec la bénédiction du conservatoire d’espaces naturels local… De qui se moque-t-on ?
Le résultat est sans appel : en 2021, jamais le vivant n’a été autant menacé !
Pourtant, les actions et écrits pour la protection de la nature existent depuis longtemps. Jean-Baptiste de Lamarck écrivait en 1820 : “L’Homme, par son insouciance pour l’avenir et pour ses semblables, semble travailler à l’anéantissement de ses moyens de conservation et à la destruction de sa propre espèce. On dirait que l’Homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable”.
Le mouvement actuel de protection de la nature s’est développé en France dès les années 1960, 1970 avec des combats locaux et nationaux (défense du parc national de la Vanoise, lutte contre le nucléaire, lutte pour sauver le Larzac…) et des alertes fortes. Les combats militants à l’origine de ces créations ont été petit à petit remplacés par une intégration au sein d’une société destructrice, renforcée par ce concept trompeur de « développement durable » lancé en 1987 et porté par un milliardaire du pétrole pour que rien ne change. Un oxymore qui aura fait beaucoup de dégâts…
La protection de la nature est aujourd’hui devenue technique et affaire d’experts. On est censé compenser lorsqu’on détruit. On accompagne les destructions. On déplace des animaux et des plantes selon notre bon vouloir. On gère les espaces naturels. On nous parle de perte nette de biodiversité. On nous dit qu’il faudrait réparer la nature. Des portes ouvertes pour l’expertocratie écologique comme le craignait déjà Arthur, journaliste à « la Gueule ouverte » dans les années 70. En 2021, on parle entre ingénieurs experts. Pour survivre, les associations ont besoin des destructions !
Aujourd’hui, alors que tout le monde ou presque parle de « biodiversité », tous les constats nous montrent l’échec de ces stratégies.
En s’associant avec les tenants de la société capitaliste, nous cautionnons cette volonté de ne rien changer. Ou plutôt de faire croire au changement sans que jamais celui-ci ne devienne réalité. Un changement superficiel et tout en longueur malgré l’urgence de la situation.
Mais comment changer véritablement, rapidement et en profondeur ?
Parvenir à un changement profond et rapide nécessite de changer de stratégies. Il faut arrêter de se complaire dans des partenariats qui n’apportent rien d’autre qu’une caution écolo pour les pires des entreprises et multinationales destructrices, arrêter d’être dépendants de pouvoirs politiques et n’accepter que des partenariats de réciprocité sans engagements financiers.
Pour paraphraser un slogan zapatiste : « Le virus de la rébellion devrait être au cœur des associations ». Il faut arrêter d’accompagner des projets destructeurs, arrêter de jouer aux experts, de participer à ces fameux consensus tant recherchés par les aménageurs. Il faut inventorier le vivant pour le plaisir et l’envie de connaître et non pas pour y rechercher un intérêt particulier. Il faut affirmer qu’une société capitaliste qui serait même devenue « écocapitaliste » ne pourra jamais considérer autrement notre relation au vivant que comme une relation avec des objets qui devraient être à notre service. Il faut, dans le même temps, relier les questions de notre relation aux mondes avec celles des problèmes sociaux car elles sont intimement liées. Tant que l’on maltraite d’autres êtres humains, on maltraite également la nature et réciproquement. Il faut redevenir des militants, retrouver l’envie de lutter pour changer les relations « humains – non humains », prendre en compte les savoirs locaux, les savoirs paysans y compris dans leurs relations à la nature. Il faut arrêter de faire de l’éducation au développement durable pour, au contraire, privilégier le développement de nos émotions avec la nature. Favoriser et soutenir la création de ZAD multiples partout où des projets destructeurs sont imposés à la nature comme aux populations. S’investir localement pour participer aux décisions visant à améliorer les conditions de vie de la collectivité. Il faudrait également se battre pour apprendre dès l’école l’existence de mondes humains très différents sur notre planète. Ces mondes ont chacun leur récit, leurs imaginaires qui, le plus souvent, traduisent leurs relations aux autres et notamment aux autres êtres non humains. Connaître ces récits, permettra de se dégager de ce monde unique que les sociétés capitalistes aimeraient bien imposer sur toute la planète et favorisera ainsi le développement d’autres imaginaires pour d’autres avenirs. Quelques associations s’engagent dans cette démarche. Pourquoi ne pas les suivre ?

Protection de la nature et capitalisme : INCOMPATIBLES !
Sortie du livre le 10 novembre 2021 - Éditions Atlande. Collection « Coup de gueule et engagement »

Présentation de l’auteur : Pierre Grillet a travaillé dans le milieu associatif de la protection et l’éducation à la nature pendant plus de 22 années. A la FRAPNA Isère, au Centre permanent d’initiatives pour l’environnement de Coutières (près de Ménigoute) et à Nature Environnement 17. Puis, en tant que profession libérale, toujours dans la protection de la nature. Naturaliste, il a organisé de très nombreuses formations à l’intention des personnes travaillant dans les espaces protégés avec l’ATEN puis l’AFB (Agence française de la biodiversité). Il a été membre du Conseil scientifique et technique du Conservatoire d’espaces naturels Poitou-Charentes ainsi que du Conseil scientifique régional du Patrimoine Naturel (CSRPN).
Préface d’Olivier Swift, écologue et bio-acousticien.

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