Edito

En premier lieu, une mise au point nécessaire : lorsque certaines parcelles agricoles ont été tellement divisées suite à telle ou telle succession, au point de ne faire plus que quelques ares de superficie, vouloir les agrandir pour mieux travailler relève du bon sens. Que les paysages bocagers, comme tous les paysages, évoluent nous semble normal. Mais entre une évolution maîtrisée visant non pas à détruire le bocage mais à en faire un lieu de travail plus facile pour les paysans et une évolution visant plus simplement à supprimer ces paysages au profit d’immenses parcelles, notre choix est fait. En Deux-Sèvres, est-il normal de voir aujourd’hui des parcelles d’un seul tenant allant jusqu’à 40 ha (et plus), ce qui correspond à la surface totale d’un grand nombre de petites fermes, là où, quelques années auparavant, le bocage était encore présent ? Et on retrouve de telles « ouvertures » au sein même de paysages encore appelés « bocagers ». Pour quels intérêts ? Quels besoins ? Quelles perspectives à long terme ?

A l’inverse, certains paysages bocagers ont tendance à s’enfricher, notamment dans des fonds de vallée étroite, voire des coteaux, ou encore certains secteurs jugés trop humides. En général, il s’agit des lieux les plus fortement contraignants pour l’agriculture. Mais cette tendance naturelle, qui présente un intérêt biologique certain, consécutive à un abandon par l’homme, si elle est bien réelle dans certaines régions, est encore très marginale par rapport aux agrandissements démesurés de parcelles.

Nous ne défendons pas les bocages, nous sommes les bocages qui se défendent1

Construits par l’homme pour ses propres besoins alors que les droits à la vaine pâture disparaissaient, les bocages sont devenus au fil du temps des milieux accueillants pour toute une flore et une faune sauvages qui ont su s’y adapter et profiter de certaines réalisations. À l’instar des grenouilles et tritons qui ont colonisé les milliers de mares créées à l’origine pour servir d’abreuvoir pour le bétail et différents usages domestiques pour les mares de ferme. Les haies et les bosquets étant alors utilisés comme site de nourrissage, voire d’hibernation et les prairies permanentes ainsi que les multiples petits ruisseaux comme sites de déplacement. Il est fort probable que la multiplication de ces milieux de reproduction aquatiques et de milieux terrestres favorables pour ces animaux ait favorisé l’expansion de certaines espèces.

Un compromis entre les besoins des humains et des non humains ? L’homme au sein d’une nature qu’il a aménagée en aurait fait profiter ses voisins de planète ?

Probablement oui à ces deux questions mais tout ceci se serait réalisé involontairement. En construisant les bocages, l’homme pensait à ses besoins essentiellement.

Ainsi, l’homme, à une certaine époque (pas si lointaine), aurait, sans le savoir et probablement sans le vouloir, démontré que la coexistence avec l’ensemble du vivant était possible, voire même souhaitable ?

Car les bocages, ce sont en premier lieu des paysages différents selon les régions, mais ce sont aussi beaucoup plus que de simples alignements d’arbres bordant des parcelles agricoles. Des écosystèmes complexes composés d’une multitude de milieux différents mais complémentaires avec les chemins creux, les habitations, les jardins, les prairies permanentes, les prairies temporaires, les cultures, les haies bien entendu, mais aussi les friches, bosquets et petits boisements, quelques secteurs de lande, les sources, les zones humides (prairies et marais), les vallées, les mares, les étangs, les ruisseaux, les talus… Et, dans le bocage de Gâtine, on peut rajouter les chaos granitiques et les chirons.

C’est cet ensemble qui constitue un vrai bocage avec, selon les régions, leurs sols, leur topographie, et leur histoire humaine, tel ou tel élément qui domine, tel ou tel type de haie, mais toujours au milieu d’une complexité accueillante pour la vie sauvage. C’est pourquoi nous préférons parler des bocages plutôt que du bocage. Rien qu’en Deux-Sèvres, le bocage du nord du département dit « bocage bressuirais » présente ses propres particularités par rapport au bocage du centre du département.

Nous serions ainsi dans des « paysages du milieu ». Un milieu entre une nature « sauvage » et une nature très « artificialisée » combinant à la fois des besoins humains et non humains. Un véritable territoire partagé en quelque sorte.

Pas si loin de ces « middle landscape » chers à John Baird Callicott2, porteur de la notion d’écocentrisme. Ce chercheur a développé une véritable philosophie de l’écologie, en s’inspirant d’autres auteurs comme Aldo Leopold3.

Pour Callicott, l’homme fait partie de la nature : « Pour l’éthique de la terre, nous faisons partie du paysage. C’est le grand enseignement de l’écologie scientifique - science des interrelations des êtres vivants entre eux et avec leur milieu - que de nous apprendre à voir et à sentir que, depuis la bactérie jusqu’à la « faune charismatique » nous appartenons à la communauté des vivants [...] La théorie de l’évolution et l’écologie scientifique favorisent en nous la conscience d’être insérés au sein d’un monde de liens réciproques, et c’est précisément la conscience de cette réalité qui rend légitime et fondé en raison, le projet d’une extension de l’éthique au-delà des communautés humaines ».4

Pour cet auteur et philosophe, « Au lieu de penser la planète comme devant se décomposer en zones de développement économique humain en perpétuelle expansion, censées être inévitablement destructrices de l’environnement d’un côté et en espaces naturels ou refuges biologiques toujours plus petits d’un autre, songeons au contraire à créer une planète jardin ».5

L’homme dans la nature et avec la nature et non pas en opposition : les bocages n’en seraient-ils pas les meilleurs témoins ? Ainsi, nul besoin de défendre les bocages, nous y vivons, nous faisons partie de ces paysages, nous sommes les bocages, nous nous défendons ! Plus globalement, nul besoin de protéger la nature, nous sommes la nature qui se défend.

Mais voilà, pour certains, les paysages bocagers seraient des témoins d’un passé révolu. Car il faut bien admettre que ces paysages sont en opposition avec une agriculture qui se dit « compétitrice, performante, exportatrice, productiviste et industrielle ». Le tout, à coup de subventions devenues indispensables pour soutenir un système à bout de souffle. L’homme démontre ainsi qu’il peut également être en opposition totale avec le reste du vivant, privilégiant quelques intérêts privés au détriment du plus grand nombre. Cette agriculture, pourtant déjà obsolète, est représentative d’un monde que l’on voudrait nous imposer comme étant le seul possible. Mais ce système énergivore et utilisateur de doses massives de poisons ne pourra plus durer très longtemps même si il sait parfaitement récupérer les concepts qui sonnent bien comme l’agro écologie. C’est ce système industriel, nocif pour la santé, énergivore et accroc aux subventions qui représente le passé, avec des agriculteurs qui se retrouvent piégés par des choix qui, pour beaucoup, les obligent à toujours s’endetter. A nous de démontrer que d’autres mondes sont possibles. Et de plus en plus d’agriculteurs participent, par leurs pratiques et leur éthique, à cette démonstration. Ces « autres mondes » existent déjà en différents points de la planète ainsi que dans nos régions. Il faut les mettre en valeur, les sortir de leur marginalité.

Alors, les bocages ont-ils un avenir ?

Certainement, à condition de changer les paradigmes dominants dans l’agriculture dite « moderne ». Il ne faut probablement rien attendre de la FNSEA6 et son presque double, le CNJA. Mais au contraire, il faut travailler plus avec d’autres, comme la Confédération paysanne, qui se bat, entre autres, pour le maintien des petites fermes et il faut échanger directement avec les agriculteurs. Il faut aussi prendre en compte cette nouvelle donne qui apporte de l’espoir : 30% des installations agricoles aujourd’hui sont le fait de néo ruraux7. Dénommés « respectueusement » les NIMA (non issus du monde agricole) par les chambres d’agriculture, ils sont, pour la plupart, porteurs de projets innovants et très modernes mais qui, bien souvent, se détachent totalement des principes de l’agriculture industrielle : ils recherchent de petites surfaces, élaborent des projets à taille humaine pour des raisons éthiques mais aussi pour éviter de s’endetter trop lourdement. Ils sont proches de techniques plus respectueuses des sols et de la vie, ils évitent le plus possible l’utilisation de poisons, aujourd’hui joliment appelés « produits phyto pharmaceutiques » ou encore « produits phyto sanitaires » et réduisent considérablement les dépenses énergétiques nécessaires pour leur production agricole… Ils participent aussi à la revitalisation des villages et au rajeunissement de la population rurale… Bien entendu, tous ces projets ne réussissent pas, mais pourquoi ne pas tout faire pour les favoriser ? Comme le disait un vieux paysan de 95 ans à propos des néoruraux : « il y a des jeunes qui réfléchissent et qui tentent des expériences. Il ne faut surtout pas les décourager. Au contraire, il faut savoir les observer avec bienveillance ».8

Pourtant, de telles installations sont encore trop souvent contrariées par les tenants de l’agriculture industrielle via les chambres d’agriculture qui sont dans la plupart de nos départements des porte-parole du syndicat dit majoritaire, le syndicat le plus néfaste pour les petits paysans (joli paradoxe) …Trouver des terres relève aussi d’un véritable parcours du combattant : celles qui se libèrent sont la plupart du temps accaparées par de gros agriculteurs qui se dépêchent alors d’araser les haies pour agrandir les parcelles et retourner les prairies (ne pas oublier que les aides de la PAC dans le cadre du pilier 1 sont attribuées en fonction de la surface de l’exploitation et du nombre d’animaux : plus la surface est importante, et plus on empoche de l’argent...)9. Et pourtant, malgré ces freins qui bloquent nombre de projets, les installations de néo ruraux ne cessent d’augmenter.

Parce que nous aimons les bocages et que nous croyons en leur avenir, en notre avenir, nous vous proposons ce site pour échanger, discuter, proposer… Que vous soyez agriculteur, NIMA ou non, n’hésitez pas à nous transmettre vos avis, voire vos expériences, vos photos, tout ce que vous aimeriez voir sur un tel site…Vous constatez des destructions de haies, des prairies permanentes détruites, des drainages illicites, vous voulez partager un petit coin de bocage sympa, vous connaissez des paysans qui mènent des actions intéressantes, n’hésitez pas à le faire connaître. Et si le thème des bocages permet d’aborder ces notions essentielles des rapports « homme – nature », de notre relation avec le reste du vivant, alors il ne faut pas hésiter à apporter vos contributions sur ces sujets que nous croyons essentiels pour évoluer enfin de manière positive, à parts égales avec nos voisins de planète, et non plus en tant que simples « dominants ». Au XVIIe siècle, le philosophe Francis Bacon s’exprimait ainsi : « La nature est une femme publique. Nous devons la mater, pénétrer ses secrets et l’enchaîner selon nos désirs ». Au XIXe siècle, en 1854, Isidore Geoffroy de Saint Hilaire, alors fondateur et président de la Société zoologique d’acclimatation, présentait le projet de sa société : « c’est au règne animal que nous voulons demander à son tour, des ressources, des forces, des richesses ignorées, afin que l’homme soit maître enfin de la nature entière ou comme on le disait il y a quelques siècles, roi des trois royaumes… »10. Au XXIe siècle, ce paradigme de l’homme « maître de la terre » est plus que jamais d’actualité dans nos civilisations occidentales. N’est-il pas temps d’en changer ?

Aldo Léopold énonçait au début du XXe siècle : « Une chose est juste lorsqu'elle tend à préserver l'intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique11. Elle est injuste lorsqu'elle tend à l'inverse ».12 Une jolie citation que nous pourrions mettre en en tête de notre site…

D’autres sites traitent à leur manière du (ou des) bocage(s)

Pour toutes informations concernant la réglementation et des données plus techniques au niveau national,
il faut consulter le site du pôle bocage de l’office National de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS)

www.polebocage.fr

[1] En référence à un slogan de la ZAD de Notre Dames des Landes devenu célèbre : « On ne se bat pas pour la nature, nous sommes la nature qui se défend » !

[2] John Baird Callicott, né en 1941, est professeur à l’université de North Texas, il a été président de la société internationale d'éthique environnementale de 1994 à 2000. Continuateur de l'écologue, forestier et écrivain Aldo Leopold. Trois ouvrages sont disponibles en français: Genèse: la bible et l'écologie (Wildproject, 2009), Ethique de la terre (Wildproject, 2010) et Pensées de la terre (Wildproject, 2011).

[3] Aldo Leopold (1887 – 1948), forestier écologue « La montagne qu'il faut déplacer pour libérer le processus vers une éthique, c'est tout simplement ceci : cessez de penser au bon usage de la terre comme à un problème exclusivement économique. Examinez chaque question en termes de ce qui est éthiquement et esthétiquement juste autant qu'en termes de ce qui est économiquement avantageux ». Aldo Leopold, “A Sand County Almanac” (1949, 242). En français : « L’almanach d’un comté des sables »

[4] John Baird Callicott, Éthique de la terre ; éditions Wildproject, 2009-2010.

[5] Extrait de « Genèse, la bible et l’écologie ». John Baird Callicott. Wildproject. 2009.

[6] FNSEA : Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles ; CNJA : Centre national des jeunes agriculteurs (aujourd’hui « Jeunes Agriculteurs »).

[7] Selon le livre : « Les néo paysans ». Gaspard d’Allens & Lucile Leclair. Seuil/Reporterre. 2016.

[8] Albert Couturier (1922 – 2018)  citation extraite du livre : « Les sillons de la confiance. Une vie de paysan dans le tourbillon du progrès de 1922 à 2017 ». Albert Couturier & Jean-Jacques Fouquet. Vies en pages. 2017.

[9] Logiquement, les aides de la PAC devraient être plafonnées avec un montant maximum même si la surface est plus importante. On parle de 100 000 euros, ce qui est déjà énorme (si on prend une moyenne de 260 euros d’aide à l’ha, cela signifie que l’exploitation est subventionable jusqu’à quasiment 400 ha !)

[10] Extrait du texte introductif publié dans Le bulletin de cette société zoologique d’acclimatation, tome premier, en 1854

[11] La communauté biotique, pour Leopold, est l'ensemble des êtres vivants et non-vivants qui vivent en interdépendance.

[12] La citation originale est: « A thing is right when it tends to preserve the integrity, stability, and beauty of the biotic community.  It is  wrong  when  it  tends  otherwise.” “Almanach d'un comté des sables”, Aldo Leopold, éd. Aubier, 1995. Parution originale en 1949 : “A Sand County Almanac